Dans le cadre de sa contribution au renforcement du processus démocratique, et conformément aux dispositions de l’article 25 du Dahir n° 1-11-19 du 1er mars 2011, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) a accompli une mission d’observation indépendante et neutre des élections des membres de la Chambre des Représentants. Le Conseil National des droits de l’Homme et la Commission spéciale d’accréditation ont géré, en outre, l’opération d’accréditation des observateurs nationaux et internationaux. Le Conseil national des droits de l’Homme a déployé durant 15 Jours 227 Observateurs, sous la supervision de 28 coordonateurs régionaux et de 12 membres d’une cellule centrale mise en place au niveau central, pour observer le déroulement des opérations électorales dans 92 circonscriptions électorales, 742 Communes, 926 Bureaux de vote, 206 bureaux centralisateurs et 82 Commissions provinciales de recensement. Les observateurs du Conseil national des Droits de l’Homme ont renseigné :
• 3054 questionnaires relatifs à l’observation du déroulement de la campagne électorale ; • 245 questionnaires portant sur le suivi d’utilisation des lieux de rassemblement mis par l’Etat ou les collectivités territoriales à la disposition des candidats ou des partis politiques, en vertu de la loi organique de la chambre des représentants ;
• 1388 questionnaires relatifs aux différentes étapes du scrutin dès l’ouverture des bureaux de vote et jusqu’à la proclamation des résultats de la circonscription nationales par la commission nationale de recensement.
Ci-après sont présentées les conclusions préliminaires tirées de la mission d’observation indépendante et neutre des élections effectuée par le CNDH.
1. La méthodologie mise en œuvre
Le Conseil national des droits de l’Homme a opté pour l’observation de toutes les circonscriptions électorales locales (92).
De ce fait, toutes les catégories de magnitude (2 à 6) ont été couvertes. Toutefois, l’identification des communes urbaines, et rurales à observer à l’intérieur de chaque circonscription locale a pris en compte les dispositions du paragraphe (c) de l’article 2 de la loi organique de la Chambre des représentants. D’autres critères généraux ont été pris en compte. Pour une double raison, administrative et démographique, la commune chef-lieu de province-circonscription a été retenue d’office dans l’échantillon. Dans le même sens, la répartition de la population et du corps électoral entre les communes a été prise en considération.
D’autres paramètres plus spécifiques ont déterminé l’approche d’échantillonnage adoptée par le Conseil. Ces paramètres spécifiques capitalisent sur les conclusions des rapports d’observation des élections législatives de 2007 et des élections communales de 2009, élaborées par le Conseil consultatif des droits de l’Homme (CCDH), ainsi que les conclusions du rapport du Référendum du 1er juillet 2011, préparé par le CNDH.
Le choix de paramètres spécifiques est justifié par le postulat d’interdépendance des droits fondamentaux. C’est dans ce cadre qu’ont été couvertes au sein des différentes régions :
• Au moins une commune ayant le taux de vulnérabilité le plus élevé ;
• Des communes ayant enregistré des taux significatifs d’abstention lors des dernières élections législatives, afin analyser l’évolution du comportement électoral ;
• Des communes caractérisées par la fréquence des actions collectives portant sur des revendications d’accès aux droits politiques, économiques, sociaux , culturels ou environnementaux ;
• Des communes caractérisées par des activités économiques spécifiques impliquant une forte mobilité de la population active (villages de pêcheurs,…). Ce paramètre spécifique est retenu pour tester l’impact de cette situation sur l’exercice des droits électoraux par la population impliquée dans ces activités ;
• Des communes caractérisées par leur accès difficile ou situées dans des aires de nomadisme, afin de tester l’impact de cette donne sur les modalités d’exercice du droit de vote.
• Des communes caractérisées par leur vulnérabilité électorale (fréquence des infractions électorales, taux élevés de recours judiciaires etc.)
2. Conclusions provisoires tirées de l’exploitation préliminaire des questionnaires de la campagne électorale
Les Observateurs du Conseil national des Droits de l’Homme ont renseigné 3054 questionnaires relatifs à l’observation du déroulement de la campagne électorale, ainsi que 245 questionnaires portant sur le suivi d’utilisation des lieux de rassemblement mis par l’Etat ou les collectivités territoriales à la disposition des candidats ou des partis politiques sur un pied d’égalité. Il ressort de cette exploitation préliminaire les conclusions provisoires suivantes..
• L’arrachage des affiches électorales Sur 5171 cas d’arrachage des affiches électorales directement observés, 80% des actes d’arrachage sont attribués aux électeurs. Une analyse plus approfondie des questionnaires permettra de vérifier la validité de l’hypothèse qui explique ces actes par un certain mécontentement de l’offre de candidature.
• La violence verbale et physique Sur 372 cas de violence directement observés, il a été constaté la prévalence de la violence verbale (propos injurieux et discriminatoires, diffamation, … dans 91.3% des cas).
Cette donne confirme le déficit d’éthique politique constaté avant la période électorale. La plupart des cas de violence physique observés peuvent être ramenés à deux variantes principales : la violence entre candidats et leurs assistants lors des meetings, des marches et des cortèges, ainsi que les interventions des équipes de campagne des différents candidats, et les forces de l’ordre à l’encontre des activistes appelant au boycott des élections , notamment entre le 18 et le 20 novembre 2011. La typologie des actes de violence observés lors de la campagne électorale montre la pertinence des recommandations antérieurement émises par le CCDH et actuellement par le CNDH visant à réguler la situation des assistants électoraux en leur accordant le statut d’employés en Contrat à durée déterminée.
• La distribution des dons et des libéralités et les autres infractions visant à influencer le vote Sur les 317 cas de distribution de dons et de libéralités directement observés, il a été noté la part relativement importante de dons en nature (45.42%). Le durcissement des sanctions liées à ce type d’infractions électorales explique à la fois le changement observé dans la nature des dons (diminution des dons en numéraire), ainsi que la distribution des dons pendant la période de la précampagne par des personnes intéressées par une candidature aux élections législatives. La fréquence des actes de distribution observés confirme la forte corrélation entre la pauvreté-vulnérabilité socio-économique et la forte disposition de certains segments de l’électorat à recevoir les dons en vue d’influence leur décision de vote.
• Utilisation des moyens appartenant aux différentes entités de droit public, ainsi qu’aux sociétés et aux entreprises prévues par la loi 69.00 relative au contrôle financier de l’Etat Sur les 89 cas directement observés, 61,79% des moyens utilisés appartiennent aux collectivités territoriales. Ce pourcentage confirme la forte corrélation entre la détention d’un mandat électif (notamment au niveau de l’exécutif communal) par les candidats et la tendance de mobilisation des moyens de l’administration communale dans la campagne électorale.
• La corrélation entre infractions et vulnérabilité électorale L’analyse spatiale de la localisation des infractions électorales montre la forte corrélation entre la vulnérabilité électorale (fréquence de contentieux, plaintes et infractions) et la vulnérabilité socio-économique. Cette corrélation démontre l’interdépendance des droits fondamentaux et l’impact des déficits d’accès aux droits économiques, sociaux et culturels sur le libre exercice de vote comme droit politique.
• L’émergence des offres programmatiques sensibles au genre Le Conseil note avec satisfaction, l’émergence progressive des offres programmatiques sensibles au genre. La démarche méthodologique adoptée pour la collecte de données sur cet aspect a opté pour l’observation directe des offres programmatiques des partis, déclinées au niveau des circonscriptions locales et véhiculées à travers les différentes activités de la campagne électorale. L’exploitation préliminaire de données collectées permet de confirmer la sensibilité de l’offre programmatique des candidats au genre. La fréquence des thématiques, comme l’égalité entre hommes et femmes, les droits de l’enfant et les droits des personnes en situation d’handicap et des personnes âgées, constitue un indicateur significatif à cet égard. .
• L’utilisation des lieux publics Sur les 226 cas observés, les observateurs du Conseil ont noté 5 cas d’interdiction de l’utilisation des lieux publics, dont deux cas qui ont concerné des partis ayant appelé pour le boycott des élections. Conscient que les dispositions de l’article 37 de loi organique de la Chambre des représentants s’appliquent uniquement aux partis participant aux élections, Le Conseil rappelle que les autorités publiques , détenteurs d’obligations en matière de droits humains, sont tenus d’appliquer les dispositions de la loi 76.00 relative aux rassemblements publics, ainsi que la loi 77.00 formant Code de la presse et de l’édition à l’égard des activités visant à exprimer ou à diffuser des opinions abstentionnistes. Les cas d’atteinte à l’ordre lors des manifestations et des rassemblements publics organisés dans le cadre de la campagne électorale sont relativement peu nombreux (24% des meetings observés) et sont essentiellement à caractère verbal (diffamation, insultes, …) et commis par les équipes d’assistance électorale. Les cas d’atteinte aux biens et aux personnes sont statistiquement peu significatifs.
3. Conclusions provisoires tirées de l’exploitation du questionnaire du jour du scrutin
Les observateurs du Conseil national des Droits de l’Homme ont renseigné 1388 questionnaires relatifs aux différentes étapes du scrutin dès l’ouverture des bureaux de vote et jusqu’à la proclamation des résultats des commissions provinciales de recensement. Ci-après sont présentées quelques conclusions provisoires tirées de l’exploitation préliminaire des dits questionnaires.
• L’emplacement des bureaux de vote 95% des bureaux de vote observés sont placés dans des bâtiments publics. Les rares exceptions sont statistiquement insignifiantes mais qualitativement significatives, comme l’emplacement de deux bureaux dans une confrérie religieuse, ou dans les locaux d’une société délégataire de service public de distribution de l’eau potable.
• La proximité des Bureaux de vote 9% des bureaux observés sont éloignés de plus de 4000 m des agglomérations votant au bureau. La plupart de ces bureaux se situent dans des communes difficiles d’accès ou à faible densité de la population.
• Parité dans la composition des bureaux de vote Le Conseil national des droits de l’Homme note la faible implication des femmes comme présidentes des bureaux de vote. Le taux des bureaux présidés par une femme n’a pas dépassé 2% de l’effectif des bureaux observés.
• Appréciation préliminaire de l’accessibilité des bureaux de vote Si l’accessibilité directe aux bureaux de vote a été globalement garantie l’emplacement des des bureaux au rez-de-chaussée des bâtiments dédiés au scrutin, 42% des observateurs du conseil, formés pour évaluer l’équipement des bureaux de vote selon le concept de l’accessibilité universelle, ont considéré que ces bureaux ne sont pas correctement équipés pour accueillir les électeurs et les électrices en situation d’handicap.
• Appréciation des compétences des présidents des bureaux de vote L’analyse de la gestion des procédures de vote et de dépouillement permet de conclure que les compétences des présidents des bureaux de vote se sont nettement améliorées par rapport aux élections législatives du 2007, grâce à la qualité de formation dispensée par l’administration chargée de l’organisation des élections. Néanmoins, les observateurs du Conseil ont relevé certains déficits. Certains présidents ont considéré l’avis comme une pièce nécessaire pour accomplir le vote, contrairement aux dispositions de l’article 70 de la loi organique de la Chambre de représentants. Certains membres des bureaux de vote ont permis aux électeurs de voter avec des pièces d’identité autres que la Carte d’identité nationale, ou n’ont pas vérifié l’identité des accompagnateurs des personnes en situation d’handicap. Dans le même sens, plusieurs membres ont omis d’apposer la marque d’encre indélébile sur les mains de votants (acte observé 275 fois), ou d’incinérer les bulletins de vote valides après le dépouillement et la rédaction des procès verbaux.
• Le vote par procuration Sur 847 bureaux de vote observés, il a été noté l’utilisation de ce nouveau mécanisme 2 fois uniquement. Le faible recours à ce mécanisme incite à réfléchir sur des mécanismes alternatifs pour faciliter la participation des Marocains résidant à l’étranger comme le vote électronique ou par correspondance.
• Typologie des infractions observées le jour de scrutin L’exploitation préliminaire des questionnaires a permis d’identifier plusieurs types d’infractions commises essentiellement par des équipes d’assistants électoraux, et rarement par des candidats. Parmi les infractions les plus fréquentes, on note la distribution d’affiches, de tracts (4% des cas observés), le recours aux fausses nouvelles et rumeurs calomnieuses en vue de détourner les suffrages (25% des cas observés) , des attroupements ou des démonstrations menaçantes (2% des cas observés), la distribution de dons et de libéralités en vue d’obtenir les suffrages d’un ou de plusieurs électeurs (4% des cas observés), l’introduction du téléphone portable ou d’autres moyens de communication à l’intérieur des bureaux de vote (10% des cas observés), des actes de violence commis à l’encontre des membres des bureaux de vote (1%).
• Remarques sur la procédure de dépouillement, de recensement et de proclamation des résultats L’examen des questionnaires renseignés par les observateurs du Conseil permet de conclure que les procédures de dépouillement, de recensement, et de proclamation des résultats ont été globalement respectées. Les présidents des bureaux de vote ou des personnes désignées par eux ont procédé normalement au dépouillement. Dans 7% des cas, le dépouillement a accusé un léger retard pour des raisons diverses, dont l’interruption du courant électrique. La plupart des représentants des candidats présents ont reçu leurs copies des procès verbaux, le refus de remise des procès verbaux par les présidents est constaté dans 2% des cas observés. Conclusions Partant de l’exploitation de l’ensemble des 4687 questionnaires renseignés par ses observateurs couvrant la campagne électorale, l’usage des lieux publics et le déroulement du scrutin, le CNDH estime que les élections des membres de la Chambre des Représentants du 25 novembre 2011 se sont déroulées dans un climat offrant toutes les garanties de liberté, de sincérité et de transparence. Le Conseil National des droits de l’Homme note en outre avec satisfaction la nette amélioration du taux de participation, et considère ce fait comme un indicateur marquant l’intérêt porté par les citoyens au processus de réformes politiques et institutionnelles en cours. Les irrégularités observées sont statistiquement peu fréquentes, et n’entachent en aucun cas la crédibilité et la sincérité du scrutin. Dans l’attente de l’élaboration de son rapport final, le CNDH tient à rappeler les recommandations contenues dans les rapports d’observation du Conseil consultatif des droits de l’Homme en 2007, 2009 et du CNDH en 2011 et qui restent pour la plupart d’actualité. Il s’agit notamment des recommandations sur la facilitation de l’inscription sur les listes électorales, la participation des personnes en situation de nomadisme, la population carcérale non frappée d’incapacité électorale, les personnes hospitalisées, les naturalisés marocains, etc. Ses recommandations en matière de renforcement de la participation et de la représentation des femmes et des jeunes sont d’autant plus actuelles, au vu des dispositions de la nouvelle Constitution, qui ont affirmé le principe de la parité et la centralité de la problématique de la jeunesse marocaine. Il en est de même pour les personnes en situation d’handicap. Constitutionnalisée et désormais régie par la loi, l’observation nationale et internationale a fait un saut qualitatif. Néanmoins, et considérant l’expérience du CNDH et de la Commission spéciale d’accréditation et les leçons apprises durant ces élections, le CNDH estime que la loi 30.11 doit être évaluée et éventuellement amendée. Tout en saluant l’effort de production normative déployé depuis la dernière révision constitutionnelle et qui a permis, de l’avis des acteurs politiques et des observateurs, au peuple marocain de choisir librement ses représentants, le CNDH estime nécessaire d’amplifier ce mouvement de réforme de l’arsenal juridique régissant les élections, notamment en matière d’économie électorale et de découpage des circonscriptions électorales locales.