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La mémoire est-elle soluble dans l’Art !?

À chaque fois que j’ai réfléchi, en tant que réalisateur, au sujet de la mémoire et des archives, je me suis secrètement demandé si c’est un pur hasard que la langue de Molière ait incorporé à ces deux mots le vocable « Art » ; comme « Art-chives » ou mémoi-Art » !? Mais sans jamais savoir ce qu’en dit l’étymologie du « Littré », je suis depuis longtemps convaincu de la fluide dynamique qui se trame entre l’Art et la mémoire, entre la création et les Archives ! Tout comme je suis convaincu de la nécessité vitale de cette dynamique à l’équilibre structurel d’une nation.

Malheureusement, cette donnée passe encore chez nous pour un détail, voire un luxe pouvant être renvoyé aux calendes grecques ! Et nous savons justement depuis les calendes grecques et l’antique Socrate, pour qui « Apprendre c’est se ressouvenir… », que la mémoire est l’avenir de l’Homme ! Depuis, la philosophie moderne a confirmé que la mémoire a une grande fonction psychique, « inséparable de la conscience de soi, indissociable de l'imagination, assurant l'unité du moi…». Cette définition concerne aussi bien la mémoire individuelle que la mémoire collective car les deux sont intimement liées. Cependant, cette mémoire fourre-tout n’est pas toujours capable d’enregistrer les souvenirs sans en perdre ou en déformer certains, sciemment ou pas. J’ai lu écrit quelque part que les archives sont les yeux de la mémoire ! Peut-être les yeux dont la mémoire a besoin pour trouver à chaque souvenir son propre chemin vers l’avenir ?

Et l’Art dans tout ça, me diriez-vous ! Avant d’y répondre, il faudrait d’abord s’entendre sur le sens du mot « archives » ! Si l’espace le permettait, je vous conterai volontiers moult histoires d’Archives devenues Art et vice e versa. Histoires d’archives conçues pour mémoire par certains, perçues comme objets d’art par d’autres… Prenons l’exemple des peintures rupestres : la plupart des thèses concluent qu’il s’agit d’événements d’actualités concernant d’éminents personnages gravés pour mémoire. Nous savons par la suite le rôle crucial que ces « images d’actualités » ont joué pour éclairer l’humanité sur sa mémoire lointaine. Nous savons également la dynamique que la découverte de ces « archives visuelles » a insufflée à l’Art et à la création contemporaine. Plus près de chez nous, nous avons, a contrario, des situations ou l’Art devient des archives… C’est le cas notamment des peuples de tradition orale ! Quelle mémoire nous serait parvenue des Indiens sans leurs chants et leurs Totems ? Qu'aurions-nous su de l’histoire des nomades Africains sans leurs danses et leurs masques ? ! Des masques devenus « les yeux de la mémoire » afin de mieux appréhender la voie de l’avenir.

Le terme « archives » désigne alors toute trace laissée par l’Homme, qu’elle soit sonore, écrite, peinte, dessinée, gravée, sculptée, dansée ou chantée… Ces matériaux fragiles sont « les yeux de la mémoire » dont se nourrit l’Art pour sauver de l’oubli , à son tour, une parcelle de la mémoire. Ceci démonte une idée reçue largement répandue, y compris chez certains de nos artistes, qui croient que la création, et partant l’imagination, est un don inné ! Or le verbe « Imaginer », en français comme dans la plupart des langues que je connaisse, a pour origine le mot « Image » ! Ce qui signifie que nous n’imaginons qu’à partir des réminiscences d’images qui se déposent dans notre mémoire, chacun selon ses origines et son parcours de vie. Et notre imagination est plus ou moins créative selon les libertés et les moyens que l’on se donne, ou pas, à creuser les sillons de notre mémoire et à faire corps avec elle. Prenons plus près de chez nous, le cas de la création autour de la période des années de plomb : je ne pense pas que la production artistique à laquelle elle a donné suite, soit le seul résultat de la permissivité du nouveau règne. Je crois que les témoignages foisonnants des acteurs de cette période en sont pour beaucoup. Ces derniers étant nombreux, enfin diffusés et pris en charge collectivement ne pouvait laisser sans stimuler la création même si le système ne le permettait pas ! Et ce n’est qu’un modeste début… Ces témoignages (Archives) écrits ou bien oraux à leur tête les auditions publiques de l’IER, est un matériau qui continuera encore pendant longtemps à stimuler l’imagination et inspirer la création locale et étrangère. Puis c’est ensuite autour de l’Art, qui en jaillirait, de se transformer en « Archives » susceptibles d’éclairer les temps futurs. Avant d’être réalisateur, j’ai été un enfant marocain éclaboussé malgré moi par les vicissitudes de cette période. Par conséquent ces archives sont les essences indispensables à mon imagination de réalisateur. Je continue donc à rêver, sûrement à l’instar d’autres Marocains artistes, chercheurs…etc, à un temps proche, où il nous sera possible de consulter et utiliser ces archives en un clic…

Je continue à imaginer un lieu et une institution nous permettant, comme c’est le cas dans toute nation civilisée, où nous pourrions enfin faire corps avec les « yeux de notre mémoire ».

Par Ali Essafi, Réalisateur

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