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Enseignement de l’histoire et ouverture politique dans le Maroc d’aujourd’hui

Les débats engagés ces dernières années au Maroc sur le thème de l’ouverture politique et de l’écriture de l’histoire n’ont pas ignoré la question de l’histoire enseignée. L’institution scolaire reste encore, en effet, malgré le rôle plus affirmé et plus indépendant des médias dans la vulgarisation historique et en dehors de la transmission « privée » ou militante d’une mémoire historique familiale, régionale ou communautaire, le vecteur principal de la diffusion de la connaissance historique, et donc le moyen essentiel d’imprimer des repères dans la mémoire des jeunes Marocains.

Contrôlée par l’Etat aux niveaux primaire et secondaire via le contenu des programmes, les manuels et les sujets d’examens, la situation de l’histoire enseignée semble un bon indicateur des avancées et des limites de l’ouverture politique.

Les critiques de la presse, « le droit de regard » revendiqué par la société civile, les débats de l’IER ont-ils contrebalancé, au cours de cette dernière décennie, le contrôle de l’Etat et insufflé une dynamique nouvelle à cet enseignement ?
L’heure est peut-être aujourd’hui à l’esquisse d’un premier bilan entre avancées mais aussi blocages d’une histoire enseignée sous « surveillance » et dont les finalités ne sont pas clairement hiérarchisées.

L’enseignement de l’histoire en débat

C’est par la presse dite « indépendante », acteur et support souvent critiqué de la « libéralisation de la parole » qui a accompagné l’ouverture politique marocaine à partir du milieu des années 1990, que les débats sur l’enseignement de l’histoire ont dépassé l’audience restreinte des spécialistes et atteint, dans une certaine mesure, le grand public.

Comme pour beaucoup d’autres thèmes sensibles, le registre adopté par la presse dans le traitement de cette question a été essentiellement celui de la dénonciation : une histoire enseignée « idéologisée » « mythifiée » objet « d’occultation », selon les titres accrocheurs d’articles dans lesquels les journalistes ont donné la parole à des historiens censés rétablir « la vérité » face à un discours officiel tronqué. Cette évocation en « creux » par la presse de la question de l’histoire enseignée a alimenté le débat sur les conséquences du long contrôle de l’Etat sur la transmission d’une discipline - objet d’instrumentalisation politique - dans un contexte d’absence de vulgarisation de la recherche historique.

Autre acteur de l’ouverture politique marocaine : le monde associatif, porte-parole de la société civile. En son sein, les associations et collectifs portant les revendications identitaires amazighs ont fait de la question de l’histoire enseignée un des leurs chevaux de bataille. Manifestes, presse, sites et forums de discussions ont dénoncé la transmission d’une histoire jugée monolithique centrée exclusivement sur le passé arabo-musulman du pays et revendiqué sa réécriture. Le stade de la simple dénonciation a été dépassé lorsqu’une plainte pour « mensonge et falsification » de l’histoire a été déposée par un collectif amazigh contre le ministre de l’éducation nationale à l’occasion de la sortie d’un manuel d’histoire en 2003. L’objet de la plainte était l’appellation et l’importance accordée à un événement, le dahir du 16 mai 1930, dont l’interprétation focalise, depuis plusieurs années les controverses entre lecture nationaliste et lecture amazigh de l’histoire. Une guerre des mots qui montre les revendications d’ une histoire militante qui demande réparation.

Du rôle de la presse, des demandes de réparations, il a été question aux seins des travaux de l’IER, phase importante de « l’ouverture politique » marocaine au tournant du millénaire. Centrés d’abord sur les problématiques de mémoire et d’histoire et d’écriture de l’histoire du temps présent, les travaux de l’IER ainsi que les discussions qui ont accompagné les recommandations de l’Instance ont mis en gerbe les débats sur le traitement de l’histoire au Maroc et sur sa transmission. Des interrogations sur les contenus (quelle histoire du temps présent enseigner ? Quelle place accorder à l’histoire de la violence politique ? ), sur les méthodes (quelle place accorder aux sources orales dans les pratiques enseignantes au Maroc ?) ont alimenté des discussions au moment où l’application de la réforme générale de l’enseignement mise en route en 2002 permettait de juger de certains acquis mais aussi de blocages.

Acquis et blocages

L’ère du manuel unique - symbole d’une histoire strictement contrôlée par l’Etat - a pris fin avec la réforme. Désormais, les enseignants ont le choix entre plusieurs manuels agrées par le Ministère dont les auteurs sont des enseignants - essentiellement du secondaire - et des inspecteurs. Ce tournant important laissait espérer qu’à un récit formaté succède une pluralité de points de vue qui rendent compte de visions renouvelées de l’histoire. Dans le même temps, la refonte des programmes a inclus l’histoire proche du Maroc, celle du temps présent dans les classes terminales du premier et du second cycle de l’enseignement dans une approche a priori plus globale que celle des programmes précédents centrés sur « le parachèvement de l’unité territoriale » et les figures des souverains.

Des efforts ont également été déployés pour rapprocher recherche historique et enseignement secondaire notamment par l’organisation de manifestations comme les Rendez-vous de l’histoire, sur le modèle de ceux de Blois en France, ouvertes aux enseignants, aux chercheurs et aux élèves. Rencontres entre élèves et enseignants sur le thème de la transmission de l’histoire ont également été organisées, notamment par le CCDH à l’occasion de la foire du livre de Casablanca de 2008.
Si le renouvellement des supports pédagogiques et des programmes ainsi que la multiplication des lieux d’échanges et de débats traduisent des dynamiques nouvelles force est de constater que des blocages subsistent.

Ainsi, les programmes finalement appliqués ont condensé voire amputé les parties initialement consacrées au « temps présent » et beaucoup d’enseignants ont regretté que l’histoire n’ait été maintenu, en deuxième année du baccalauréat, qu’en filière littéraire. Dans un premier bilan du renouvellement de l’histoire enseignée au tournant du millénaire dressé par M. Hassani-Idrissi, historien de l’éducation, il ressort que malgré les avancées constituées par la fin du manuel unique et l’introduction de l’histoire du temps présent dans les programmes, le discours historique scolaire actuel montre une histoire enseignée « sous surveillance » avec une fonction de légitimation politique. Et dans l’élaboration des nouveaux manuels Mostafa Hasasani Idrissi rappelle que le contrôle du Ministère de L’Education Nationale passe par l’imposition d’un cahier des charges dont seraient prisonniers éditeurs et auteurs auto-censurés et donc fermés à la pluralité des « points de vue et des jugements portés sur le passé » .

Ce bilan en demi-teinte montre bien que les finalités de l’histoire enseignée n’ont pas été clairement hiérarchisées. Que faut-il privilégier ? La cohésion nationale ? La réponse aux revendications identitaires ? La réconciliation ? La formation citoyenne ? Ou encore le rapprochement entre histoire scolaire et recherche universitaire ?
Pour l’historien enseignant, la dimension intellectuelle reste essentielle impliquant un rapprochement entre l’histoire scolaire et recherche universitaire. Mais les autres finalités ont une importance certaine dans le Maroc d’aujourd’hui auxquelles doit pouvoir répondre l’enseignant d’histoire. C’est donc à ce difficile dosage de ses finalités qu’est aujourd’hui confronté l’histoire enseignée expliquant le malaise des professeurs qui doivent savoir précisément à quoi sert l’histoire pour décider comment ils l’enseigneront.

Par Mme Rita Aouad

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